Sa passion finirait définitivement par le perdre. Nageant à contre-courant dans le foule d'élèves qui se dirigeait vers les serres, dont il revenait tout juste, Kiku s'excusait en inclinant la tête d'un petit mouvement chaque fois qu'un de ses camarades le bousculait sans un mot en retour. Il venait juste de terminer son cours dans la troisième verrière, dont les murs étaient décorés de branchages qui escaladait les fenêtres pour se glisser par celles-ci, cherchant un peu d'air à respirer dans cette chaleur étouffante. En ce dur mois de janvier, où les paysages étaient couverts de neige et le lac gelé et solide comme du métal, si bien que beaucoup d'étudiants aimaient y patiner lors de leur temps libre, il fallait constamment chauffer les salles pour que les classes d'adolescents frileux ne se plaignent pas de la température, et puisse se concentrer sur le cours. Le japonais n'avait bien sûr pas besoin de ça pour ingurgiter les moindres paroles de son professeur de botanique. Cela aurait pu être l'apocalypse au dehors qu'il n'aurait rien remarqué, trop occupé à tester et noter les réactions de la fleur aux pétales d'or lorsque l'on arrosait ses sépales de bave de Norvégien à Crête. Et comme à son habitude, il n'avait pas pu s'empêcher de rester après la classe, interrogeant Madame Bonnefoy sur d'autres mystères de cette plante fascinante, ou encore sur les nouveaux spécimens qui envahissaient la serre et qu'il venait tout juste de remarquer. Si son institutrice était heureuse qu'il s'intéresse autant à ses leçons et qu'il participe à l'oral, c'était néanmoins un problème lorsqu'il s'attardait trop et qu'il devait ensuite courir vers le château pour son cours suivant, se rendant compte qu'il avait pratiquement dépassé les quelques minutes octroyées par la pause.

Il peinait à se déplaçait dans la neige épaisse, où ses jambes frêles s'enfonçaient comme des baguettes dans un bol de riz. Il trébucha même lors de la dernière montée vers les marches menant au grand hall, s'étalant de tout son long sur la surface poudreuse et immaculée. Relevant la tête, il crachota pour se débarrasser des flocons qui avaient cru bon de s'installer sur sa langue, et lutta pour sortir ses membres de leur prison glacée. Frigorifié, ses bras serrés autour de ses épaules, il couru -à vitesse raisonnable- sur les derniers mètres qui le séparaient de la grande entrée. Il secoua la tête en atteignant enfin les portes, et tapota ses vêtements pour les débarrasser de la couche restante de poudre cristalline, grelottant un peu. Qu'est-ce qu'il détestait avoir froid! Il n'y avait rien de pire à ses yeux que cette morsure qui vous paralysait, vous laissant tremblant, et aspirait vos forces jusqu'à la dernière goutte. Certains disaient qu'entre mourir de chaud et mourir de froid, ils préféraient de loin la dernière option. Ils pensaient qu'ainsi, on pouvait toujours se réchauffer, alors qu'au soleil, même délesté de ses vêtements, la chaleur restait insoutenable. Kiku trouvait cela ridicule. Comment pouvait-on se réchauffer si l'on ne pouvait pas bouger? Mourir enfermé dans la glace était pour lui un cauchemar. Rien de mieux à son sens qu'un bain brûlant après une rude journée de travail.

Enfin débarrassé de la neige qui le couvrait, il tâta ses cheveux, désormais trempés, lâchant un soupire. À tous les coups, ils étaient en bataille. Il irait se recoiffer à l'heure du repas, faisant un saut rapide à son dortoir pour remettre tout ça en place. Mais en attendant, il fallait atteindre la prochaine salle de classe. Montant l'escalier central quatre à quatre, il avala les paliers jusqu'au 3e étage, où aurait lieu son cours de sortilèges. Il escalada les dernières marches au ralenti, suffoquant, sa détermination désormais envolée. Qu'est-ce qu'il détestait courir! Sa naissance ne lui avait fait aucun cadeau, en ce qui concernait le sport. Il n'était non seulement pas endurant, en particulier lorsqu'il s'agissait de faire la course, mais même sur un balai, il était aussi doué qu'une limace agitée au bout d'un bâton. On lui avait raconté qu'à Mahoukotoro, l'école de sorcellerie japonaise, les élèves étaient rodés et entrainés pour être les plus doués possible en Quidditch, possédant un talent naturel pour le vol. Apparemment, ce n'était pas son cas. Kiku avait décidément été maudit.

Traversant le couloir qui le mènerait à sa salle de cours, il se retrouva malgré lui emporté dans un flot d'élèves tous plus grands que lui, qui allaient visiblement dans la même direction. Il finit heureusement par s'arrêter, terminant sa route en se cognant contre un autre étudiant. En relevant les yeux, il avisa l'insigne vert et argent sur sa poitrine, puis les étranges boucles d'oreilles qu'il portait. Un Serpentard, à n'en point douter. L'adolescent qui le scrutait d'un air exaspéré possédait des cheveux blonds décoiffés, des yeux aux couleurs de sa maison, ainsi que des sourcils particulièrement fournis. Kiku se demandait comment il pouvait les laisser dans cette état, mais se disait que ce serait impoli et probablement dangereux pour lui de poser la question. Ils lui faisaient penser à de mauvaises herbes qu'on aurait laissé pousser dans un beau jardin. Le Serdaigle balbutia des excuses inaudibles pour l'avoir heurté, mais le plus grand y coupa court d'un réplique cinglante:

▬ Euh, ce n'est pas par-là, les classes des premières années...

Le japonais resta un moment interloqué, se demandant si c'était une blague, ou comment il était censé réagir. Tentait-il de se moquer de lui, ou pensait-il réellement qu'il était en première année? Il était vrai que le garçon était plutôt petit pour son âge. Il n'était pas rare qu'on le croit tout droit sorti de primaire, ou qu'on lui propose de visiter certains endroits cachés du collège, alors qu'il y vivait depuis déjà trois ans. Mais il se dit que face à un Serpentard, mieux valait ne pas faire tenter de faire le malin, et prendre la réplique au sérieux pour éviter de se faire casser le nez. Il ne s'appelait pas Ludwig, après tout. Il se remit bien droit, essayant de paraître plus grand qu'il n'était en réalité, regardant son monologue dans les yeux, sans le défier pour autant.

▬ Je ne suis pas en première année, mais en troisième. J'ai cours de sortilèges dans ce couloir.

Il attendit patiemment que l'information monte au cerveau de son vis-à-vis. Il semblait visiblement choqué d'apprendre que le japonais avait le même âge que lui. Etait-il vraiment si petit que ça? Il avait été passablement rassuré, en arrivant à Poudlard, de découvrir des enfants venus, comme lui, des quatre coins du monde. Certains étaient même aussi grands que lui et cela lui avait donné bon espoir que sa petite taille ne serait plus un sujet de moquerie. Mais plus les mois avaient passé, plus il voyait ses camarades grandir, grandir, sans que lui ne gagne un centimètre. Sa troisième année semblait être la pire. Il s'était mesuré au début du mois d'octobre, et avait été surpris de découvrir qu'il avait eu une soudaine poussée de croissance. Son heure venait-elle enfin? Cela ne semblait pas être le cas, car malheureusement, depuis, plus rien. Il restait bloqué à son mètre soixante-cinq, alors que ses amis continuaient à pousser comme des mandragores. Il espérait que les soudains regains de taille étaient fréquents chez lui, et qu'ainsi il continuerait à grandir ainsi. Pour l'heure, c'était bien ce problème qui le maintenait là, face à ce Serpentard, visiblement perplexe quant à sa réponse. Après quelques secondes de contemplation, une lueur de compréhension sembla s'allumer dans ses yeux émeraudes, comme si la réponse à toutes les interrogations de l'univers s'était révélée à lui.

▬ Ah ? Ah bon... J'ai cru que... parce que tu sais... les asiatiques sont assez...

C'était donc ça. Cet adolescent, manifestement européen vu ses traits, était victime du stéréotype qui frappait tous les compatriotes de Kiku. Sous prétexte qu'il était japonais, il était normal qu'il soit plus petit. Les sourcils du Serdaigle se froncèrent imperceptiblement. Il ne savait pas trop s'il devait prendre cela pour une insulte ou non. Peut-être l'élève n'avait-il pas conscience de son manque de tact, et que c'était juste une remarque en l'air, pour faire la conversation. Mais mine de rien, cela l'avait blessé dans son amour propre -le peu qu'il en possédait encore, en tout cas. Il décida de ne pas répondre à cette pique, pour éviter la moindre querelle. Mais si il avait eu un peu plus de culot, Kiku lui aurait répondu séance tenante "Et moi j'avais entendu que les anglais cuisinaient mal, pourtant je n'ai pas hésité à manger ce que l'on m'a servi en arrivant ici. Comme quoi, on peut toujours être étonné". Oui, pour le coup, c'était carrément insultant. Surtout que vu son accent, son vis-à-vis semblait être un british pure souche, malgré le petit ton agressif qu'il y ajoutait pour jouer les gros durs. Mais encore une fois, contrairement à lui, Kiku ne manquait en rien de tact, Dieu soit loué, et il n'était pas encore suicidaire -pas dans ce genre de situations. Il garda donc bouche cousue, le jugeant silencieusement au milieu du couloir. Il ne remarqua pas d'ailleurs que les rangs se vidaient peu à peu, alors que les élèves pénétraient dans les salles pour rejoindre leur cours, le début de l'heure suivante se faisant de plus en plus proche. À cet âge-là, notre japonais était malheureusement très distrait, et sa rencontre avec l'écossais avait pris le pas sur le reste de ses pensées, comme l'avait fait la botanique quelques minutes plus tôt.

Quoi qu'il en soit, leur conversation ne semblait pas devoir s'arrêter là, car après quelques secondes à le regarder de haut, le blond ouvrit de nouveau la bouche, cette fois encore pour le questionner sur ses origines:

▬ Dis donc... Tu devrais pas aller à Mahoukotoro, toi ? Non parce que je trouve ça étonnant que tu sois en Écosse. Juste pour dire.

Celle-là, il ne l'attendait pas. Etait-il en train de lui faire une sorte de "Foreigners, go home?". Sous prétexte qu'il était étranger, il n'avait pas le droit d'étudier à Poudlard? Bon, il ne pouvait nier que lui aussi avait été quelque peu étonné en recevant sa lettre venue d'Ecosse, alors qu'il était clairement indiqué dans le livre d'Histoire de la Magie de sa mère qu'une autre école lui était accessible, tout près de chez lui. Mais trop heureux de poursuivre le rêve de sa génitrice, il n'avait pas poussé sa réflexion plus loin. Surtout qu'une fois arrivé, il avait rencontré des élèves venus de multitudes de pays différents, européens ou non. Il s'était alors dit que c'était normal, et que les collèges de sorcellerie choisissaient leurs élèves selon des critères bien définis. Kiku avaient eu les compétences nécessaires pour entrer à Poudlard, et il n'allait pas sans plaindre, vu le prestige de cet établissement. Alors pourquoi cet question de la part du Serpentard? Avait-il passé ses trois dernières années dans une grotte, sans se faire aucun ami venu d'un autre pays? Surtout que le "Juste pour dire" sonnait à ses oreilles comme un "Rentre chez toi" plus que blessant. Il ne comprenait pas pourquoi, sous pretexte que lui était né en Ecosse, il aurait eu d'avantage droit à cette connaissance dispensée par leurs professeurs. Mais encore une fois, il décida de rester poli, bien décidé à ne pas répondre à ses provocations.

▬ Je n'en sais pas plus que vous. Ma tante est allée à Poudlard, elle aussi, alors j'ai suivi le même chemin. Et je n'ai jamais été contacté par l'école de Mahoukotoro.

Il s'était aussi fait la réflexion que peut-être ses aptitudes déplorables en balai étaient la raison de ce refus d'affection. Vu la réputation de l'école japonaise en ce qui concernait le Quidditch et les joueurs incroyablement doués qu'elle avait engendrée et formés, il n'était pas étonnant que l'accès en ait été refusé à Kiku. Mais il n'allait certainement pas l'avouer devant son camarade, persuadé que ce serait encore une raison pour se moquer de lui. Il s'attendait à une remarque telle que "Ah, tu es japonais mais tu sais pas monter sur un balai. C'est pas de bol!", avec un petit sourire narquois en prime, qui lui ferait définitivement perdre fois en ce jeune-homme, qu'il qualifierait d'irrécupérable. Il décida plutôt de titiller un peu la fierté de l'étudiant vert et argent, avec le petit compliment qui va bien.

▬ Mais je suis très heureux d'être ici et nul part ailleurs. Cette école est une merveille, sans doute l'une des meilleures du monde. Et le Royaume-Uni, c'est très beau, aussi! Je suis content d'avoir fait tout ce voyage.

Si après ça, il trouvait encore le moyen de l'insulter, notre pauvre Kiku ne serait plus quoi faire pour lui.

Kiku était persuadé, en se heurtant au jeune Serpentard, qu'il venait de rencontrer l'une des pire racailles de l'école. Il craignait de ne pas repartir sans quelques bleus s'il prononçait le moindre mot de travers. Pourtant, il fut surpris de découvrir un sourire sur le visage de son vis-à-vis, lorsqu'il complimenta leur collège et le pays où ils se trouvaient. Cela confirma la réflexion que le japonais s'était faite lorsqu'il avait remarqué les sourcils étonnamment épais du garçon: son faciès était un beau jardin, qui méritait juste une petite épilation -quand il ne faisait pas sa tête de truand, car là, tout son charme disparaissait derrière cette expression d'emo incompris. Si le caractère qu'il affichait avait été un peu moins repoussant, le Serdaigle était sûr qu'il serait poursuivi par la gente féminine -ou masculine, il n'en savait trop rien. Mais pour le moment, ce n'était pas le cas. Le plus grand était toujours un punk, il parlait toujours comme un délinquant, et pourtant, une flamme semblait s'être allumée dans ses yeux, ses paroles animées d'une passion pour la contrée dont il venait et dont il était si fier:

▬ N'est-ce pas? Il n'y a pas mieux que le Royaume-Uni.

En voilà un qui était patriote! À ce niveau-là, c'était même de la vantardise, non?

▬ Je suis né ici en Ecosse et j'y ai toujours vécu, mais franchement, je trouve que L'Angleterre est extra!

Ceci expliquait beaucoup de choses. Kiku voyait bien que son camarade n'était pas le genre à porter le kilt ou à jouer de la cornemuse -oui, c'était ainsi que notre cher japonais voyait les écossais à l'époque. Il avait néanmoins entendu parler de la génération punk en Angleterre, et nul doute que le Serpentard s'en était inspiré pour son style vestimentaire et son attitude. Mais il semblait incapable de cacher son cœur d'enfant et la fierté de son pays sous ses couches de cuir et ses boucles d'oreilles.

▬ Et puis Poudlard est très réputée, tu penses, il y a de quoi faire avec les raisons qui pousseraient les étrangers à venir! La preuve, tu es là!

En réalité, si le plus petit avait pu se passer de rejoindre le Royaume-Uni pour ses études, pour des questions pratiques, surtout, il l'aurait fait. Cependant, voir l'Angleterre l'avait toujours fait rêver, et avec les récits que lui contait sa mère alors qu'il était enfant, il n'y avait à ses yeux pas d'établissement de sorcellerie plus merveilleux que Poudlard. Et les trois années qu'il y avait passées ne pouvaient le faire changer d'avis. Si l'on excluait Senka, qui était un cas spécial, il s'y était fait ses premiers amis. Feliciano et Ludwig partageaient son quotidien et ils n'avaient pas mis longtemps à devenir meilleurs amis, bien que parfois les traits de caractère de l'un parvenait à exaspérer les deux autres. Mais c'était une routine paisible qu'il n'aurait échangée contre rien au monde. En repensant à tout cela, un petit sourire lui échappa aussi, mais il fut vite tiré de ses pensées par la main du blond qui vint lui tapoter amicalement l'épaule.

▬ Presque toute ma famille y est, c'est pas pour rien!

Toute sa famille? Dis ainsi, Kiku imaginait une fratrie nombreuse et de tout âge. Le nom de Kirkland ne lui disait encore rien pour le moment, mais il se demandait s'il aurait un jour l'occasion de tous les rencontrer.

▬ Tu me plais bien, en fait!

Avait-il suffit de quelques compliments pour qu'il baisse sa garde? Pour quelqu'un qui se prétendait un rebelle endurci, s'en était presque amusant. Mais peut-être le japonais s'était-il fait un nouvel ami, sans le savoir. Il fallait peut-être voir plus loin que ce que les apparences montraient, il avait au moins appris cela en quittant le domaine familial. Envolées, les recommandations de son père qui décrétaient qu'il fallait fuir les européens comme la peste! Faute d'avoir l'intelligence de se montrer sous son vrai jour, son camarade avait au moins l'air sympathique. Comme pour achever leur rencontre, il lui tendit la main sur ces mots:

▬ Tiens, d'ailleurs! Je suis Arthur Kirkland. Serpentard, en troisième année. Et toi?

Serpentard, ça, Kiku s'en serait douté, à moins que le dénommé Arthur n'ait pas accédé à la maison qu'il souhaitait, et qu'il était trop mécontent pour porter les couleurs de sa réelle famille. Mais vu sa personnalité, le japonais était sûr qu'il faisait bien partie des vert et argent. Par réflexe, il s'inclina bien bas devant lui, sans même saisir sa main, pour se présenter.

▬ Je m'appelle Kiku Honda. Je suis à Serdaigle, et également en troisième année. Enchanté de vous rencontrer, Kirkland-san.

Oui, il était aussi assez évident que lui appartenait à la maison des aiglons, et il avait déjà précisé sa classe un peu plus tôt. Mais les nippons avaient cette manie de toujours réciter leurs titres avant de se déclarer heureux de faire la connaissance de quelqu'un, histoire que leur partenaire sache à qui il avait affaire. Après s'être relevé, droit comme un i, il remarqua finalement cette main tendue vers lui. Confus, il balbutia, rouge de honte à l'idée d'avoir mis un vent à son nouvel acolyte:

▬ P-pardon, je n'avais pas... Enfin, c'est une habitude chez nous de...

Après cette explication sans queue ni tête et même sans conclusion, il lui donna finalement la poignée de main qu'il désirait, les yeux au sol, embarrassé. Même après avoir vécu trois ans en Europe, il avait toujours du mal avec ce genre de coutume. Et le fait qu'il ne soit pas très tactile ne l'encourageait pas davantage à accepter les accolades, les serrages de main ou même la bise. La première fois que Feliciano lui en avait fait une, il était resté crispé sur place, se demandant comment cet italien qui ne faisait même pas partie de sa famille pouvait être aussi familier avec lui. Il espérait cependant que cela n'avait pas contrarié Arthur. Comme pour se donner une excuse, il précisa, se frottant la nuque:

▬ Je... Je suis japonais. Nous ne nous saluons pas de la même manière que vous dans mon pays...

Ils étaient partis sur de mauvaises bases, mais avaient finalement trouvé un terrain d'entente. Autant ne pas gâcher toutes ses chances!

Un instant, il s'attendait à ce qu'Arthur change soudainement d'avis sur lui et qu'il le trouve étrange. Après tout, qui savait comment étaient vues les coutumes asiatiques aux yeux des européens? Ils devaient trouver cela bizarre... Cette manière de s'incliner bien bas, comme si l'on se soumettait à son interlocuteur, qu'on lui offrait sur un plateau le fouet pour se faire battre avec la jolie invitation "Vous m'êtes supérieur, frappez-moi s'il vous plaît". À tous les coups, l'écossais, qui malgré ses fréquents changements de personnalité semblait assez sûr de lui, allait tirer avantage de cette faiblesse flagrante. Pourtant, une fois le moment de surprise passé, il sentit la main du Serpentard se resserrer autour de la sienne, dans une poigne amicale. Il releva les yeux vers lui, découvrant son visage conciliant et rassurant.

▬ Et c’est comme ça qu’on salue chez toi, alors? Original... Ça fait bien signe de respect, c’est plus... conventionnel!

D'abord effaré de le voir aussi curieux au lieu d'être rebuté, il finit par hocher frénétiquement la tête, heureux de le voir accepter l'idée avec tant de facilité. Pour quelqu'un qui vantait les mérites de sa nation et malgré son pseudo-air de brute, il était plutôt ouvert d'esprit, en réalité! Il avait d'emblée compris que cette courbette était avant tout un geste de respect, plutôt que de soumission à autrui. Et son appétit de connaissances semblait ne pas s'arrêter là.

▬ Tu m’en diras plus, à l’occasion ? Vu que nous sommes tout les deux en troisième année, on pourrait prendre un peu de temps durant les inter-cours ! Pourquoi « Kirkland-san » d’ailleurs ? 

Une petite voix lui chuchota qu'une personne avec une telle soif d'apprendre aurait fait un très bon Serdaigle. Il regrettait déjà de ne pas le compter parmi ses camarades de maison. Il les imaginait déjà partager leurs origines dans la salle commune, installés devant un bon feu de cheminée, pour repousser le froid hivernal qui s'abattait sur le château. Mais puisque ce n'était pas le cas, il faudrait le chercher à travers la masse grouillante des étudiants de Poudlard, l'une des plus grandes écoles de magie du monde. Et ne serait-ce que pour en apprendre plus sur son -peut-être- nouvel ami, il était prêt à faire cet effort. Et puis, le blond devait passer ses soirées dans la Grande Salle pour le dîner, comme la plupart des habitants du collège. Il suffirait de demander qui le connaissait pour parvenir à le retrouver. Mais pour l'heure, il était prêt à répondre à ses questions, ayant complètement occulté sa destination première. Il ne remarqua même pas le couloir qui se vidait de plus en plus, à mesure qu'il rendait compte des règles de la rencontre chez les japonais:

▬ Bien sûr, avec plaisir. Je pense que moi aussi, j'aurais des choses à apprendre de vous, puisque vous êtes né dans ce pays. Il y a encore un grand nombre de normes auxquelles je ne m'habitue pas encore, avoua-t-il en se frottant la nuque -pour quelqu'un qui vivait en Ecosse depuis maintenant trois ans, c'était assez honteux, selon lui. Oh, et le "san" est une formule de politesse. Il y en a beaucoup d'autres, mais on utilise généralement celle-ci pour parler à une personne que l'on vient de rencontrer, ou qui ne nous est pas encore très proche...

Il espérait que cela changerait, au fil du temps, bien sûr. Plus il conversait avec lui, plus Arthur lui semblait sympathique, malgré la première impression.

▬ Je crois d'ailleurs que chez vous, c'est l'équivalent du "monsieur" ou "madame". Vous ne dites pas cela à une personne que vous connaissez bien, n'est-ce pas? Et bien pour nous, c'est pareil.

Petit à petit, il commença à s'emballer sans le vouloir. C'était étrange pour lui, qui d'ordinaire était loin d'être bavard, mais ce garçon éveillait chez lui un désir de partage. Pas qu'il souhaitait lui raconter sa vie en détail: tout cela était d'ailleurs encore trop douloureux à aborder pour lui. L'une des exceptions était Ludwig, le premier au courant, qui n'avait pas eu à chercher longtemps pour découvrir son passé. Kiku lui faisait confiance -en quelque sorte. Mais pour Arthur, qu'il venait de rencontrer, cela prendrait sans doute plus de temps. Non, il entendait pas là qu'il voulait lui faire découvrir sa culture, tout comme lui pouvait lui faire découvrir la sienne. Il était exalté par cette curiosité que lui montrait son vis-à-vis. D'ordinaire, lorsqu'il avouait d'où il venait, les gens l'observait étrangement, comme s'ils cherchaient sur son visage la trace des stéréotypes sur lesquels il s'étaient arrêtés. C'était plutôt blessant à subir. Aucun ne lui avait vraiment posé de question sur la manière dont les mœurs fonctionnaient chez lui, et il en était attristé. Pour une école qui accueillait apparemment des enfants venaient des quatre coins du monde, elle n'était pas très tolérante. Mais le Serpentard face à lui était la preuve du contraire, la preuve qu'il avait cherché depuis son arrivée en Europe. Alors si il lui demandait quoi que ce soit, Kiku se ferait une joie d'y répondre. D'ailleurs, il continua sur sa lancée.

▬ Et il n'y a pas que ça! Cela dépend aussi du rôle hiérarchique! On utilise donc "senpai" lorsque la personne a un poste supérieur au nôtre, ou "kouhai" dans le cas contraire. L'âge joue aussi, donc on appelle souvent les petits garçons "kun" et les petites filles "chan", quoique ces deux derniers cas marche aussi pour les personnes qui sont des amis proches, et pour preuve, j'appelle Feliciano "Feliciano-kun", marmonna-t-il comme pour lui-même, alors qu'il était clair qu'Arthur n'avait sûrement aucune idée de qui était l'italien dont il parlait. Aussi, le métier entre en compte! On appelle les professeurs "sensei", et...

Il finit par se rendre compte de son enthousiasme. Il stoppa son flot de paroles, son visage s'empourprant de plus en plus. Est-ce qu'il venait réellement d'accaparer le sujet? Cela ne lui ressemblait pas. En revanche, ce qui lui ressembla davantage fut sa réaction: immédiatement, il baissa un peu la tête pour montrer sa honte.

▬ P-pardon, je parle trop... Vous ne vouliez peut-être pas que je rentre autant dans les détails...

Il n'en dit pas plus, bien que mille excuses lui venaient déjà en tête. Il avait assez parlé comme ça pour en rajouter.