Les trois livres s'affaissèrent sur le lit dans un bruit à peine étouffé par la couverture. Une grimace étira alors les lèvres d'Aberthol ; lui qui avait pourtant essayé de s'y prendre avec délicatesse... Aaah, il espérait n'avoir rien abîmé... C'est que, bien qu'il était loin d'être un fil de fer, il sa musculature n'était pas encore bien développée, du haut de ses douze ans.
Il vint aussitôt rejoindre les livres sur son lit, manipulant les ouvrages avec une grande attention, une moue désolée toujours sur son visage tandis qu'il plaçait méticuleusement les trois manuscrits devant lui. Oh, manuscrit était un bien grand mot pour ces trois éditions relativement récentes, mais les mots écrits dans chacune d'elles dataient de temps bien plus anciens...
Sans qu'il ne s'en soit rendu compte, un petit sourire avait finalement refait son apparition sur le visage du brun. Détachant son regard d'une des trois couvertures où l'on pouvait distinguer des individus en armures médiévales, il laissa son regard se promener tranquillement sur tout ce qui se trouvait autour de lui... Ce qui ne le fit que plus sourire.
Car l'aîné Kirkland ne se trouvait pas n'importe où : il était assis sur son lit, dans sa chambre. Cadre plutôt... Eh bien plutôt commun, me direz-vous... Et pourtant, c'était loin d'être le cas pour le jeune homme. Par sa chambre, il entendait celle du manoir familial, et non celle qu'il occupait à Poudlard. Cette même chambre qu'il n'avait pas côtoyé depuis plus de trois mois, et qui pourtant restait on ne peut plus agréable à vivre ; à peine avait-il posé sa malle au pied de son armoire qu'il avait l'impression de n'être jamais parti d'ici. Oh, bien sûr, si sa chambre ne sentait pas spécialement le renfermé, on aurait tout de même pu deviner qu'elle n'avait pas été habitée depuis un certain temps : l'armoire était quasiment vide, certains objets ayant beaucoup aux yeux du jeune homme étaient partis avec lui... Des détails qui, néanmoins, suffisaient à montrer aux habitants de la maison que le plus âgé de la fratrie était bien absent.
Toutefois, Aberthol avait bien vite remédié à cela, et ce dès son retour : sa malle grande ouverte et quasiment vide en témoignait. Pour les jours à venir, cette pièce serait désormais à nouveau occupée, retrouverait sa chaleur habituelle.
Il soupira de bien-être, extrêmement détendu, tandis que ses pensées se tournèrent vers la seconde année qu'il avait entamé dans cette école. Ma foi, tout s'était on ne peut mieux passée ; si la légère mélancolie qu'il éprouvait toujours lors du départ était encore présente, l'angoisse que pouvait provoquer un bond vers l'inconnu, elle, n'était plus. Aberthol avait réussi à se faire des amis, les camarades de classe et d'année étaient devenus pour la grande majorité des personnes sur qui compter, tout au long de l'année, et il se montrait intéressé par les cours, bien qu'il commençait à avoir un peu de mal à suivre les cours d'Histoire... M'enfin, à part ce très léger bémol, tout allait pour le mieux. Sa maison lui plaisait, les leçons lui plaisaient, et il s'amusait bien. Et puis, chose de la plus haute importance : il n'était désormais plus le seul Kirkland à Poudlard ! Keith, son petit-frère avait fait ses premiers pas à Poudlard, cette année ! La cérémonie s'était bien passée, et son jeune frère avait été envoyé à Serpentard. Son aîné en avait été très heureux pour lui : cette maison semblait lui convenir, son frère était heureux, que demander de plus ?
Bien entendu, le jeune brun avait fait taire les deux-trois rumeurs sur Serpentard que murmuraient ses camarades entre quelques rires d'un regard en coin qui, bien qu'accompagné d'un petit sourire, avait su faire son effet au sein de sa bande d'amis. Puis, après s'être assuré que Keith avait été bien accueilli – notamment en levant le nez vers la table des Serpentard de la manière la plus discrète qui soit- lui avoir lancé des regards et sourires encourageants, était rentré avec sa Maison, avant de poursuivre son année (en gardant toujours un œil sur le bro, ahem).
Et, au fil de ces trois mois, il avait été intrigué par la lecture de chevet d'un de ses camarades de chambre. Ce dernier, un sang-mêlé vivant au Pays de Galles, avait répondu à ses questions en lui racontant une histoire ponctuée de noms tous inconnus : Galahad, Lancelot... Enfin, pratiquement inconnus. Lorsque le jeune homme avait évoqué les nom de Gawain et Arthur, son visage s'était illuminé. Il demanda plus de détails, et... Fini par réussir, au bout de quelques jours de tergiversions, à lui demander si il pouvait lui emprunter quelques livres. Une quête, des chevaliers, des dragons... Et puis, le nom de son frère ! Comment pouvait-il passer à côté de ça ? Après avoir bu les paroles de son ami, bouche bée, qui lui donnait des noms de lieux aux sonorités à la fois presque communes à son oreille, et pourtant lointaines, il emporta les trois ouvrages chez lui avec plaisir, le remerciant à profusion, avant de les ramener chez lui pour les vacances de Noël.
Et voilà qu'il se retrouvait maintenant sur son lit, un regard brillant d'excitation passant de la première, à la seconde, puis à la troisième couverture. Par où commencer ? Aah, voilà qu'il était perdu...
Il se laissa finalement aller en arrière sur son lit, prenant avec lui les trois livres pour les examiner soigneusement...  Et fini par pousser un soupir, sans remarquer que, bien qu'il était assez tard dans la nuit, la porte de sa chambre était toujours entrouverte, laissant une lumière tout de même assez voyante se répandre dans le couloir.

Aberthol mettait un temps fou à se décider. Que choisir ? Ce n’étaient pourtant que de simples livres, qu’il s’agissait ! … Enfin. Ça, c’était vite dit. Il comprenait tout de même l’importance des histoires, même si il n’en saisissait pas encore complètement l’importance qu’elles pouvaient avoir. Mais malgré ça… Une part de lui ne pouvait s’empêcher de se sentir idiot. N’aurait-il donc pas le temps de plonger dans chacune de ces histoires ? Il était en vacances, encore loin de crouler sous le travail ; d’autant plus que, bien que chaque livre était doté d’une épaisseur respectable, son ami ne lui avait pas non plus prêté d’énormes grimoires !
Ses sourcils se froncèrent un court instant ; assis en tailleurs, il posa son coude sur sa cuisse et soutint son menton d’une main. Il tendit son autre main, la laissa planer au-dessus du livre à sa gauche, avant de virer tout à droite, puis de se laisser aller vers celui au centre… Jusqu’à ce qu’un bruit sourd parvienne à ses oreilles. Il se tendit alors et reposa aussitôt sa main sur la couverture, jetant un coup d’œil inquiet vers la porte de sa chambre. Oh, c’était une sonorité quasiment imperceptible, qu’il n’aurait probablement pas entendue en journée, loin du silence qui régnait alors dans le manoir. On aurait dit… le bruit d’une chute, peut-être ? Maintenant que ça lui venait, il avait cru entendre une voix chanter, plus jeune et moins féminine que celle de sa mère. S’il n’avait pas été pris par la panique, il aurait sûrement compris qu’il s’agissait d’un de ses frères. Tout est-il qu’il resta immobile quelques secondes, tendant l’oreille. Il hésita même à éteindre les lumières de sa chambre, craignant lui aussi la venue d’un parent qui ne manquerait sûrement pas de lui faire la leçon, à ne toujours pas être couché à cette heure-ci. D’ailleurs… Quelle heure était-il ?

Il tourna la tête vers la petite horloge accrochée au mur de sa chambre, à sa droite. Et se sentit blêmir. Si tard ?! Oh non… Il avait mis beaucoup trop de temps à défaire ses valises, sans compter ce qu’il avait perdu à choisir quel livre commencer !

Et voilà qu’il lui semblait encore entendre de légers bruits, allons bon. Son imagination lui jouait des tours, c’est ça ? Oui, bien sûr. Pourquoi quelqu’un d’autre serait éveillé à cette heure-ci, après tout ? Il s’efforçait de se rassurer, mais n’arrivait pas à détacher son regard de la porte de sa chambre à moitié ouverte, une main sur la vis de sa lampe (comme si plonger la pièce dans l’obscurité uniquement maintenant aurait pu le sauver). Il était quasiment sûr de passer un sale quart d’heure…

Plein d’appréhension, il sursauta légèrement aux deux coups qui frappèrent doucement la porte de sa chambre. Oh ? Ça, c’était déjà surprenant. Ses parents n’auraient sûrement pas hésité à entrer rapidement.

Il avait quand même essayé de préparer une excuse ou deux, au cas-où il s’agissait bien de Mum ou Dad, et s’apprêta à tout dire précipitamment- Gawain?

Oh. OOH. Soulagement. C’était bien son petit frère qui venait d’entrer, et non une personne prête à le houspiller.
Il se détendit aussitôt et ne s’occupa plus de garder une main sur cette ancienne lampe à huile à laquelle il tenait tant, se tournant tout de suite vers Gaga en lui demandant dans un rapide murmure :

« Gawain ?... Qu’est-ce que tu fais debout, aussi tard ? Oh- Oui, tu peux venir, bien sûr ! »

Ah ça, l’aîné avait beau être éveillé à cette heure-ci, il ne s’était pas gêné pour faire remarquer à son frère l’heure qu’il était. Bien sûr, ce n’était pas pour le sermonner ou quoi que ce soit, mais surtout parce qu’il était mu par une inquiétude un tantinet trop protectrice de grand frère. Craignant un cauchemar, il avait été rapidement rassuré, et sourit au petit blondinet tandis que celui-ci s’installa sur son lit sans se gêner le moins du monde. Comme si ça le dérangeait ! Alors qu’il se décalait un peu pour laisser plus de place à Gawain, son sourire se fit plus grand devant  l’émerveillement du plus jeune.

« Ils t’intéressent ? C’est un ami qui me les a prêtés ! Il m’a dit que ça parle de chevaliers, de dragons… Enfin, j’espère que ça te plaira ! »

Faire la lecture à son frère ne le dérangeait pas le moins du monde, au contraire ! Bon, par contre, il allait falloir qu’il se décide là, sérieusement. Il se remit à détailler ces livres du regard, notamment leur titre, qu’il lut à voix haute montrant chaque livre du doigt, de gauche à droite :

« On a "Perceval, ou le roman du Saint Graal", "La vengeance Radigu-ah mince... Ragui-euh… Ah, oui, c’est ça, Raguidel !»

Il marqua une pause après cette hésitation, esquissant un sourire gêné en direction de Gawain, avant de terminer :

« Et pour finir, on a aussi… "Sir Gawain et le Chevalier Vert" !»

Son sourire se fit plus malin. Même si ce livre avait l’air plus fin que les deux autres, il ne se doutait pas de la réaction de son cadet face au titre de cet ouvrage-ci. Il lui dit alors, veillant toujours à prendre un ton bas :

« Je peux commencer par celui-là, si tu veux. Ça te va ?»