Never go down

feat Svitlana Alkaev

Matthias avait le vertige.
Aussi loin qu’il puisse s’en souvenir, il avait toujours été terrifié par le vide sous ses pieds et la perspective de ne plus avoir de pris sur rien et d’être voué à tomber, à fendre l’air, encore et toujours. Pourtant, il adorait le Quidditch. C’était notamment grâce à sa professeure, en première année, qui avait su lui donner un sentiment de sécurité sur un balai, qui au fur et à mesure de ses entraînements était devenu comme une extension de lui-même chaque fois qu’il l’enfourchait. Bien vite, voler était devenu un passe-temps comme un autre et Matthias raffolait de la sensation de liberté qu’il éprouvait à traverser les nuages ou faire coucou aux oiseaux. Bien sûr, il avait déjà fait quelques chutes, certaines plus ou moins dangereuses et plus ou moins soldées par un échec ; quand bien même, il remontait en selle aussitôt que ses os étaient ressoudés - rapidement, grâce aux bons soins de l’infirmière qui était habituée à ses multiples visites vu que le Danois n’était pas spécialement ce qu’on pourrait appeler un élève tranquille.
Ainsi, le blond était infiniment reconnaissant envers Svitlana de lui avoir permis de dépasser cette peur primitive des hauteurs, mais ce jour-là, il était juste incapable de s’imaginer en l’air.

C’était stupide. Tout le monde lui avait répété que ce n’était pas sa faute, qu’il avait été manipulé, pour reprendre les mots de Ludwig, et même ses frères et surtout Berwald ne semblaient pas lui en vouloir.
Mais là était le problème.
Lui s’en voulait.

La Marque était un fardeau énorme à porter pour quelqu’un comme lui dont la première priorité est de protéger les siens. Être une menace constante le rendait fou, à tel point qu’il n’en dormait presque plus. Il n’avait que de brefs souvenirs très flous du moment où elle s’était déchaînée, mais ce qui revenait le plus sous ses paupières était le corps tordu de douleur de Berwald, hurlant à l’agonie sous le coup d’un Doloris. On lui avait aussi raconté qu’il avait fait du mal à Lukas et Andrés, tout comme à Wil, et même des enfants comme Evalyn et Andrew, deux petits Serpentard. Le comble avait été quand il était entré dans l’infirmerie. Il aurait juste voulu disparaître.
Il se sentait monstrueux d’avoir été celui au bout de la baguette et il n’osait même pas imaginer ce qu’il aurait pu faire de plus si la Marque avait décidé de persister.

- Ca va, Matthias ? D'habitude tu es bien plus vite sur ton balai.

Il fit un bond d’un mètre lorsque la professeure lui adressa la parole, pris dans ses pensées moroses.

- Oh, euh, je sais, non non, ça va…

Il se tordit les mains tandis que Svitlana continuait de parler, visiblement d’humeur compatissante. Il osa à peine lever les yeux sur la femme qu’il considérait comme un modèle avant de bredouiller d’une voix faible et inhabituelle pour lui :

- J’aimerais bien mais...Je me sens…lourd, aujourd’hui…

Fiche (c)Miss Yellow

Never go down

feat Svitlana Alkaev

- ... Lourd ? C'est une expression anglophone... ?

La question arracha un faible sourire à Matthias qui fit une rapide tentative d’humour.

- Lourd au sens figuré, oui. Enfin, propre aussi, dans mon cas...Mais j’espère que ce n’est que du muscle !

Il accompagna la réplique d’un rire un peu forcé, et la professeure qui ne semblait pas dupe quant à son état réel - Matthias était un véritable livre ouvert lorsqu’il était question de ses sentiments - enchaîna sur un discours clément. Elle l’autorisait même à ne pas s’entraîner, et c’était complètement dingue de sa part aux yeux du Danois qui avait toujours été habitué à une Svitlana stricte, relativement froide et qui ne faisait pas dans la dentelle.
Il se demanda alors s’il donnait une image si pitoyable pour que même la slave soit aussi douce avec lui. Il savait qu’il n’était pas au meilleur de sa forme, il avait beau pratiquer régulièrement le déni, il n’était pas stupide au point de se croire rayonnant.
Non, Matthias se voyait tous les jours dans le miroir. Il avait maigri à l’image de son appétit d’ordinaire digne d’un loup, ses traits étaient tirés par la fatigue des nuits passées à cauchemarder au mieux, mais plus régulièrement à fixer le plafond car incapable de faire taire les flashs sporadiques de sa crise, et il n’avait même plus envie de prendre soin de lui ou de se coiffer, ce qui résultait en une coiffure assez plate par rapport à celle qui rappelait un chiot ébouriffé d’habitude.

Il n’était plus vraiment lui-même et il en souffrait, comme il savait que son entourage en souffrait aussi. Il ne voulait pas les inquiéter pour quelque chose qu’il considérait comme dérisoire, mais il n’arrivait plus à trouver la force de sourire quoi qu’il advienne, rongé par la peur de faire à nouveau une crise qui pourrait à nouveau blesser les siens et faire des dommages collatéraux.

-  Tu sais, je suis sûre que ça ira, dit-elle en lui tapotant maladroitement l'épaule. Je sais que tu t'en veux, mais... "This too, shall pass".

Il la sonda quelques instants avant de lui sourire d’un air reconnaissant quoique un peu tiré.

- Vous vous sentiriez comment à ma place, m’dame ? J’arrive pas à savoir si j’en fais trop ou pas assez. Enfin, pas comme si je pouvais lutter…

Matthias leva les yeux vers les autres joueurs de sa maison qui s’entraînaient déjà et en apparence, la vie ne semblait pas avoir tant changé que ça, pourtant lui se sentait tout retourné. Pris d’amertume à l’idée d’avoir été utilisé dans un plan quelconque qui était à deux doigts de lui bouffer la vie, il serra les poings.

- Ou alors si, peut-être que je peux lutter. Mais je ne sais pas comment.

Fiche de liens (c) Miss Yellow

Never go down

feat Svitlana Alkaev

Il devait avouer attendre avec une certaine appréhension ce que la slave allait lui répondre. Il avait un peu peur d’être trop secoué d’un coup et d’exploser en sanglots comme un gros bébé comme cela lui était fréquemment arrivé ces derniers temps - et il fallait avouer que niveau honneur, pour un Gryffondor viril comme lui, il y avait mieux. Ou peut-être en avait-il juste assez de se sentir comme ça et de se voir avec les yeux injectés de sang, il ne savait plus trop à force.

L’avis de Svitlana était plus nuancé que ce qu’il aurait cru, et il réalisa qu’elle avait raison et qu’il avait complètement oublié de prendre en compte la dimension mentale de sa force.
Car bon sorcier, Matthias l’était, et visiblement, ça n’avait pas suffi pour protéger les autres élèves du courroux de la Marque.
Il se grattouilla le menton, tiquant un peu en sentant le début de barbe qui signalait un véritable laisser-aller.

- Ils veulent que tu perdes tout espoir de te battre et que tu finisses au fond du trou. Faut pas les laisser y arriver, sinon, ils gagnent. C'est une guerre psychologique.

Il acquiesça lentement, prenant le temps de laisser les paroles de Svitlana atteindre son cerveau et de bien les comprendre.
Il fallait absolument qu’il arrive à se mettre en tête qu’il n’était pas responsable de ce qui s’était passé, qu’on l’aimait encore, et que son seul moyen d’arriver à être un protecteur et non plus un destructeur, c’était de s’endurcir mentalement. Il avait cet espoir fou que peut-être, il arriverait à empêcher une éventuelle prochaine crise. Il ne savait pas trop comment, mais commencer par ne plus se morfondre constamment semblait être un bon  début, même s’il savait qu’il n’y parviendrait pas du jour au lendemain ; mais il était bien accompagné et les paroles de la slave lui avaient mis un peau de baume au coeur.

Il prit encore quelques minutes pour réfléchir avant de sourire à la professeure de vol.

- ...Merci, m’dame Alkaev. Je crois que j’avais besoin...qu’on me guide un peu. D’habitude, en tant que grand-frère, c’est plutôt mon rôle, ahah.

Il s’ébouriffa les cheveux, se leva et s’étira, avant d’enfourcher son balai.

- Je ferai de mon mieux pour devenir fort sur tous les points. Ne serait-ce que pour eux. Enfin, là, je vais commencer par aller m’entraîner, hein. Non mais regardez-les, ils font n’importe quoi sans moi.

Il grommela encore un peu puis tapa du pied et prit son envol.
Matthias se sentait soudainement beaucoup moins lourd.

Fiche (c) Miss Yellow