Ayunda pensait que toute cette histoire allait se terminer en six mois grand maximum. Aujourd'hui, ça faisait plus d'un an.

… Et elle est toujours en vie.

Elle se disait ça, quand elle avait le moral au plus bas, mais il y en avait d'autres qui avaient péri dans l'aventure. Et parmi eux, des amis, des connaissances, des gens avec qui elle aurait pu peut-être développer des liens encore plus forts... des camarades. Envolés, volatilisés et décédés comme son avenir peut-être. Tout le monde parlait quotidiennement de son futur, à Poudlard, et pourtant rien n'indiquait que tout était fini, que tout allait bien se terminer, que ça l'était déjà... À dire vrai, elle, comme d'autres sans doute, pensait que le mal était passé depuis l'épisode de cet été – un coup extrêmement dur pour toute l'école. Hélas, il y avait toujours les gens sous le joug direct de cet homme qui est apparu ce jour-là.

Ces gens « marqués », comme on a finit par les appeler communément au sein du château.

Source de soucis pour certains, mais victimes au fond. Même leur professeur de potions est passé par-là.

Allongée sur le ventre, sur son lit dans le dortoir, Ayunda relut plusieurs fois les lettres reçues de ses grand-parents maternels. Des gens biens, qu'elle n'a encore jamais eu en face d'elle. À coup sûr, si l'école prévoyait quelque chose cet été encore, elle est certaine de ne rester que... quelques jours... ou même pas du tout ? L'affaire a dû être très étouffée pour ne pas que le Ministère requiert la fermeture – temporaire ou définitive – de l'école. Encore un coup du dirlo, ça, ce type excentrique, mais qui fait de son mieux pour ses élèves. Oui bah, en attendant, on a de la chance d'être en vie.

- ...

Ça ne lui ressemble pas. D'être aussi sarcastique que ça, ce n'est pas Ayunda. Elle est juste... déprimée par les événements. Et fatiguée par cette histoire qui semble ne jamais trouver sa fin. L'indonésienne quitta finalement son lit et ses lettres, puis poussa un soupir – pour s'encourager – avant de se mettre debout. Un petit tour dans le château, doucement redevenu calme, s'imposait...

Alors qu'elle quittait les dortoirs et traversait la salle commune, Ayunda remarqua la nouvelle tête de l'élève transféré. Son nom c'était... Ethan. Nao ou Noa, aucune importance, elle n'appelait les gens que par leur prénom. Pauvre garçon. Même maison, même année, une petite amitié à voir peut-être, et pourtant il allait sans aucun doute être plus ou moins victime des incidents réguliers à l'école... Lui a-t-on seulement déjà expliqué ce qu'il en était ? Qu'il était entré dans une école où tout allait mal ? On dirait le scénario d'un mauvais film d'horreur... Tout ce qu'elle savait de lui, c'était qu'il est apparemment un ami proche des Wilson, et donc d'Oz. Camarade de maison et d'année en plus, elle n'avait aucun prétexte pour l'éviter.

D'ailleurs il l'approchait. Quelle poisse. En ce moment, elle avait vraiment du mal.

À cause de l'incendie, des souvenirs, et de l'espoir qui commençait à s'éteindre doucement. Elle lui offrit un sourire, petit et forcé.

- Salut, Ethan.

Peu importe ce qu'il était venu lui demander à la base, elle sentait que son habituelle bonne humeur n'allait pas venir l'aider maintenant. Le bon côté des choses, c'était qu'Ethan allait apporté un peu de fraîcheur à la maison... Le mauvais côté, c'était que lui aussi allait finir par être terni.

« Qu’est-ce qu’il t’arrive ? »

Ayunda ne se formalisa pas du contact. Ce qui l'embêtait, c'était ce qu'elle comptait lui dire. Car il semblait évident que personne jusqu'ici ne lui avait encore dit quoi que ce soit. Et il le fallait bien. Même si Ethan était arrivé en milieu d'année – assez proche de la fin en plus – il ne pouvait pas ne pas être mit au courant sur les événements de l'école. Personne ne pouvait prévoir les actions de ce sorcier qui avait choisit le château pour cible, alors... Pour lui éviter une plus grosse mauvaise surprise, il fallait qu'il sache. Manque de bol, c'était à la jeune indonésienne de le faire. Bien que tout les deux étaient dans la même année et du même âge, elle se sentait toujours plus petite psychologiquement dans ce genre de situation.

Mais si elle restait à ce stade, alors elle n'aurait pas changé depuis sa première année. L'époque où elle était encore farouche, timide, et n'osait pas faire un pas sans son mur de protection, assimilé par un élève plus âgé. « Je ne suis plus une petite fille » avait-elle sortit plusieurs fois à certains. Aujourd'hui, il était temps de s'en convaincre définitivement. Si Ayunda n'était pas forte avec le reste de Poudlard, c'était fichu.

- On peut... parler ? À l'écart je veux dire...

C'était peut-être un peu brusque, après tout il venait seulement d'approcher et de lui demander ce qu'elle avait; elle qui devait tirer une tronche inquiétante. Pour illustrer ses mots, elle l'invita à la suivre près de l'une des fenêtres, sans que le regard des autres Poufsouffle n'en soit attiré. 'Manquerait plus que la curiosité de quelques-uns n'en pousse à les rejoindre... Non, elle voulait vraiment lui dire ça toute seule. Autrement la salle commune allait s'assombrir, et elle ne le supporterait pas.

Bien sûr, l'idée d'assombrir – en tout cas de prendre le risque – Ethan n'était pas plaisante non plus, mais il était le principal concerné.

Une fois qu'elle fut adossée à un mur avec le nouveau de la maison, elle regarda distraitement par la fenêtre, cherchant quels mots devaient lui servir à introduire le « problème ». Par où commencer ? Ça faisait plus d'un an, et il s'était passé tellement de choses ! Des inquiétantes comme des minimes, et bien sûr, la solution n'était toujours pas là. L'histoire devenait pesante, bien que jour après jour, une moitié de l'école se durcissait, et l'autre craignait. Si seulement le Ministre de la magie voulait bien rendre l'histoire un tantinet publique; non seulement Ethan aurait peut-être été un peu à jour, mais en plus on aurait envoyé de l'aide, sans doute... ? Malgré les gens qui patrouillaient dans les couloirs, l'ennemi de l'école semblait toujours aussi fort sans qu'on ne puisse l'arrêter...

- Tu as remarqué qu'il y avait des Aurors un peu partout dans le château... ?

Car non, ce n'était pas normal, ici. Elle prit un second temps avant de continuer.

- Il s'est passé des choses ici... un peu... enfin... ça nous dépasse.

Pauvre jeune Poufsouffle qui devait être soulagé de pouvoir enfin avoir une scolarité « normale »... Le visage d'Ayunda se transforma alors pour montrer un malaise; un mélange de gêne et de tristesse.

- Pardon Ethan... Mais ce sera pas forcément tranquille, dans ta nouvelle école...

« Raconte-moi tout depuis le commencement, s'il te plaît, dans le moindre détail. »

Ayunda inspira. Il fallait tout lui raconter. C'était un truc un peu lourd à faire, psychologiquement, mais en même temps, l'indonésienne allait en profiter pour se confier. Loin d'elle l'idée de vouloir partager sa peine et donc de le rendre malheureux, mais il devait bien savoir ce qui se trame dans sa nouvelle école. Elle lui adressa un petit sourire nerveux, sans trop savoir d'où il venait.

- Désolée, ça va être un peu long...

Puis un silence s'abattit sur eux. Un silence dans lequel l'asiatique chercha prudemment ses mots. Des mots clairs et précis, sans pour autant effrayants ou menaçants. Exposer la situation sans montrer la panique.

- Par où commencer... Je crois... que ça a dérapé avec le coma d'Antonio...

Elle déglutit à ce souvenir. Ce n'était vraiment pas une bonne chose à se remémorer. Mais pour mettre au courant son nouveau camarade, elle devait faire un effort. Et faire preuve d'un peu de courage.

- L'année dernière, le Directeur a envoyé trois élèves dans la Forêt Interdite pour enquêter sur une affaire de licornes assassinées... On ne sait pas ce qui s'est passé, mais quand ils sont revenus, Antonio était inconscient, et il... ne se réveillait pas... Euh, Antonio est chez nous, en septième année.

Et de loin l'un des élèves avec qui elle s'entend le plus. Une seconde maman qui prend soin d'elle comme avec une petite sœur. Le côté familiale – au sens propre – d'Ayunda était en ébullition le jour où l'on a retrouvé son ex-préfet dans un tel état.

- Quand il s'est réveillé, il n'avait aucune séquelle, mais il ne se souvenait pas non plus de ce qu'il s'était passé. L'école était un peu alarmée, mais en même temps, c'était la Forêt Interdite, alors on pensait qu'il y avait juste du danger là-bas, et on ne s'est pas posé plus de questions que ça... Même si des élèves pensaient que la défense de Poudlard s'affaiblissait. Mais le Directeur nous promettait qu'on était en sécurité. Sauf que... le préfet des Serpentard s'est fait attaqué, lui aussi. Dans le château. Il avait fini à l'infirmerie, et on avait encore aucune nouvelle, mais des rumeurs comme quoi il y avait un fou dans l'école se propageaient...

Ayunda fit une pause, regrettant presque cette petite époque où le danger encore n'était que minime. Elle ignorait bien sûr que le dit attaquant du préfet était Antonio lui-même.

- Ça a continué... Antonio et un autre Serpentard sont revenus une fois blessés, et Tonio il... je ne sais pas, il était complètement ailleurs, je n'ai même pas pu lui parler... C'est le lendemain... qu'on a tous compris qu'il se passait vraiment quelque chose de grave... Un élève est mort...

Elle sentit un frisson lui parcourir les bras, mais se retint d'enlacer ces derniers. Elle ne devait pas montrer sa peur à Ethan. Elle devait lui expliquer les choses posément. Même si elle s'était déjà emporté dans son propre récit, le ton un peu froid et blessé.

- Ça... C'était ce qui avait mit tout le monde d'accord : quelque chose se tramait, et le Directeur ne pouvait plus dire que tout allait bien; il disait un peu ça, mais bon... Puis... Tu sais, tu as déjà entendu parlé des « crises » je crois, non ? Ben... la première a eu lieu... quelques temps après ça... Le Serpentard qui était revenu blessé avec Tonio, euh, Franfre-... non... enfin, tu verras. Eh bien il... il a fait un genre de crise et... c'était... enfin...

Comment raconter une telle menace qui pèse encore et qui met tout le monde mal à l'aise ? L'indonésienne avait déjà perdu de son assurance, alors qu'elle s'était promit de tout raconter avec le plus de calme possible. Elle avait encore à apprendre sur son self-control... D'ailleurs, ses couettes s'enroulaient sur elle-même, réagissant à la crainte.

- Il était... complètement fou. Il hurlait, il se débattait, il était incontrôlable... Ça n'a pas duré longtemps, mais après, il s'est évanoui, et au réveil il avait tout oublié. On ne savait pas encore ce qui lui était arrivé, mais après, on avait pas tardé à le savoir... Il s'était passé quelque chose... d'étrange... Un matin, des élèves et même notre prof' de Potions se sont réveillés avec une marque dans le dos. On ne savait pas d'où ça venait, mais ça les a rendu très malade, et on avait aucune idée de ce que ça allait leur faire... Puis ils ont guérit, et...

C'est là qu'un des traumatismes de l'école lui revint en mémoire.

- Et...

Ses couettes se raidissent, témoins des souvenirs affreux.

- Et...

Les cris, la mort, la pagaille, et ce monstre gigantesque qui annonçait comme une fin prématurée à toute l'école. Ayunda aurait tellement voulu oublier cet instant où elle avait frôlé la mort aussi fort que tout le monde. Mais tout les détails restaient dans sa mémoire, impossibles à effacer. Elle voulait rentrer chez elle, fuir l'école, se cacher, se sentir en sécurité quelque part. Elle regarda Ethan, trahissant sa peur passée.

- Le... Il y avait un monstre... Quelque chose de géant, un reptile qui... quand il est entré, il a tout saccagé dans la Grande Salle... et il a... des... des élèves sont morts... D'autres élèves qui n'avaient rien demandé... Pas beaucoup mais...

Elle se mordit la lèvre pour se couper dans son discours qui commençait à s'ébranler. Parler des évènements, pourquoi pas, mais la venue du Basilic dans la Grande Salle a été une des dures épreuves qu'a dû affronter l'établissement. Elle prit une pause pour se calmer, ayant encore des choses à dire. Elle voulait s'excuser pour s'arrêter comme ça, pour s'adresser à lui de la sorte, mais l'indonésienne était sensible, et n'était certainement pas préparée pour ce genre de drames. Ça aurait pu être elle... Ça aurait pu être elle à la place de ces élèves...

Pouvait-elle continuer son récit ?

- En somme... il s'est passé des trucs horribles... mais je vais te raconter le principal... Le Directeur a tué le monstre, et on a passé des jours à restaurer la salle. Il y a eu d'autres crises, et le Ministère s'y est mêlé. Si ça se trouve, tu croiseras les deux agents qu'ils ont envoyé avant les Aurors... Eux d'ailleurs, ils sont venus à la rentrée d'après, à cause de... du campement...

Le campement. Si le Basilic a donné de nombreux traumatisés, l'incident du campement a achevé le reste. D'autres cris, mais une catastrophe plutôt qu'une pagaille, un génocide plutôt que des morts. Du sang et du feu. De la panique et de la survie. L'affaire la plus sombre qu'a connu Ayunda durant sa scolarité... jusqu'à maintenant.

- Tout le monde... était à un campement organisé pour l'été... Et vers la fin, il y a... quelqu'un qui est venu... On ne sait pas qui c'est, un genre de mage noir sans doute, et il... Les marques... Les marques de ceux qui étaient malades les ont tous rendu dingue, et ils ont... attaqué. Ils ont... tué des gens... Moi, on a essayé de me tuer... Tout brûlait... Le campement était en feu... On a presque tout perdu...

Elle ferma les yeux un instant.

Elle devait reprendre son calme.

Le pire était passé. Pour l'instant.

- À la rentrée... c'était tendu. L'école s'était divisé en deux, avec des « anti-marqués » et ceux qui les défendaient... Des élèves s'en prenaient à eux, ou même à des gens qui les protégeaient. Certains ont été renvoyés pour ça; les anti-marqués, je veux dire... Il y a eu des crises depuis, de temps en temps. D'un élève tout seul, n'importe quand, n'importe où... Et... on ne pouvait jamais faire grand chose...

Puis elle inspira à nouveau.

Elle avait fini. Elle regarda le nouveau Poufsouffle avec une petite désolation dans les yeux.

- Excuse-moi... Je ne voulais pas te faire peur avec ces histoires, mais... Il valait mieux que tu sois au courant... Maintenant, le Directeur prend tout ça très au sérieux. Il y a des Aurors, mais ça n'empêche pas que des marqués fassent une crise... Ce n'est pas souvent, mais il n'y a pas longtemps déjà, c'est arrivé...

Et elle se retint de lui avouer la terreur en quoi s'était transformé leur professeur de Potions et le ravage qu'elle avait fait. On avait déjà dû lui dire. Sinon, on allait le faire, mais ça n'allait pas être Ayunda. Celle-ci regarda ailleurs, par la fenêtre, cherchant comment conclure ce long récit dramatique et loin d'être rassurant. Au final, elle ne savait pas comment faire. Elle voulait cacher la dangerosité des choses et sa panique... mais pas moyen.

- Désolée...