Après les cours, tout va bien ? Pas pour tout le monde, on dirait. C'est surtout le jour où K'an fait le ménage hebdomadaire de sa salle de classe pour être tranquille le week-end. Là où l'héritage (de très mauvais goût) de ses prédécesseurs, en matière de décoration, se fait plutôt gênant, c'est dans les kilomètres de tissus en tous genres qu'ils ont laissé. Et, n'ayant pas la foi de tout réorganiser, le professeur s'est contenté de bazarder le plus inutile -comme les nappes- en arrivant. L'ambiance, c'est bien, trop d'ambiance, c'est inutile.

    Mais s'il y a bien une chose à laquelle il ne pouvait rien faire, c'est la luminosité. On ne peut rien lire avec un rayon de soleil dans les yeux, ni bien interpréter quoi que ce soit. Alors, les rideaux restaient constamment fermés, rendant la pièce fraîche, voire froide, et l'obligeant à entretenir le feu pendant ses cours. Vraiment, c'était chiant. Il compte bien l'éteindre avec les jours qui se réchauffent.

    C'est donc en plein dans son ménage que monsieur décide de prendre une pause bien méritée (ou pas, mais c'est une autre histoire) en remontant dans ses appartements (qui sont juste au dessus). Une fois posé devant son chocolat (froid, parce qu'il meurt de chaud.), le brun entend du bruit dans la salle, et un petit soupir échappe de ses lèvres. Bien, bien, pas de pause. Le maya descend donc tranquillement les escaliers en pierre derrière un mur de la salle avant de traverser le seul tableau de la pièce. Les murs sont déjà assez chargés en étagères en tous genres, alors c'est le seul endroit où on a pu mettre un passage. Manquerait plus que des élèves l'apprennent, tiens, et il n'aurait plus une minute.

    Une fois dans la salle, il jette un oeil à la pièce et y trouve effectivement un élève. Bonjour, ça va, tu squattes pas trop ? Le professeur sourit en coin avant de s'approcher tranquillement dans le dos du gamin. Il le reconnaît à sa tignasse. Et puis il n'a pas tant d'élèves, alors bon, c'est assez simple.

« Monsieur Noa, je peux vous aider ? Vous cherchez quelque chose, peut-être ? »

    Une fois qu'il a bien signalé sa présence, le brun se dirige vers les grandes fenêtres masquées avant de dégager les volets en grand et d'ouvrir partout, laissant l'air circuler dans cette pièce étouffante. Il a mis des MOIS à virer les odeurs d'encens et de xeres. Une fois les fenêtres ouvertes et bloquées, il referme les rideaux, quand même, encore et toujours pour garder une luminosité correcte.

    Profondément amusé de voir ce jeune garçon totalement perdu, le professeur tire un pouf pour se poser dessus. Pas qu'il se fasse vieux, hein, du tout, mais surtout que le ménage c'est fatigant. Oui, les elfes de maison pourraient le faire, c'est vrai, tout ça. Mais K'an n'aime pas trop qu'on trifouille dans ses affaires, et a fortiori sa salle de classe.

« Hé bien en hiver il fait froid, et en été c'est une véritable hécatombe. Heureusement que je ne fais pas cours au troisième âge. »

    Même si l'idée de voir des vieux mourir ne le perturbe pas plus que ça, le brun compte éviter de passer pour un parfait psychopathe. Que ce soit maintenant ou plus tard, il vaut mieux ne pas donner ce genre d'image. C'est donc avec une surprise non-feinte qu'il regarde Noa suite à sa question

« Pardon ?... Ah, ça. Je suis maya, en fait. Je suppose que ça se voit un peu. »

    K'an a un sourire amusé, se rappelant d'un certain moment où un élève s'est presque noyé dans sa tasse thé. Pourquoi ? Son "co-équipier" était, lui, totalement amorphe, et a mis une bonne trentaine de secondes à réagir... Aaah, les enfants~ Ils sont mignons mais stupides. C'est avec ce bon souvenir que le maya revient sur terre et se lève pour chercher une théière. C'est bon, il n'est pas mort, il peut utiliser ses jambes et pas sa baguette.

« Mais je manque à la politesse la plus élémentaire. Tu voudrais quelque chose à boire, peut-être ? »

    Avec cette phrase, il sourit en coin et jette un oeil à ce qu'il a. Surtout du thé, à cause des cours, mais il ne s'arrêtera pas à ça. Après un petit blanc, le professeur croit bon de demander simplement

« Ah, au fait. Je suppose que tu viens me voir pour une raison en particulier, alors... Est-ce que le fait que je te tutoie te dérange ? »

    Généralement, K'an anticipe beaucoup. Le don de voyance lui a calé cette manie un peu bizarre, mais il était sûrement déjà comme ça avant. Sa vie est tellement liée à son don qu'il serait incapable de savoir.

    Si K'an est surpris de sa réponse, il ne le montre pas. Qui, parmi tous les gosses de cette école, a su identifier les ethnies de ses camarades sans se tromper ? Personne, tout simplement. Et ça n'a RIEN de grave. Alors il se pose quelques questions sur l'enfance d'Ethan, avouons-le. Il a sûrement eu des rapports avec ça dans son enfance. Enfin, il faut dire que les natifs ne courent pas les couloirs de l'école. Là, comme ça, parmi les élèves, K'an n'en voit qu'un et c'est Matthew. Pas le cas le plus flagrant, c'est sûr...

« Ce n'est rien, voyons~. Ne t'en fais pas. »

    Le brun saisit donc le récipient rempli d'eau chaude et le pose entre eux sur la table, ainsi qu'une boite de thé en feuilles. Même s'il ne compte pas les lire, c'est toujours assez instructif. Mais il a du mal à comprendre. Si Ethan est venu pour "rien", même en passant la boule de cristal sur de la curiosité enfantine... Il y a quelque chose qui le "dérange" parce qu'il sent que quelque chose n'est pas à sa place.

« Oh, très bien. L'erreur est humaine. »

    Avec un sourire amusé, il prépare son thé au jeune et pose la tasse devant lui. Il est chou, avec ses bouclettes, on dirait une peluche. Le maya remplit ensuite sa propre tasse, se demandant d'où vient cette sensation de "chose manquante". Avoir un don n'empêche pas d'avoir de l'intuition, dont K'an ne manque pas. Toute son éducation reposait là-dessus, après tout. On venait le chercher pour des prédictions. Il n'a donc pas l'habitude qu'on lui cache des choses. Ça finira par lui passer au-dessus, mais pas pour le moment.

    Passant outre cette sensation étrange, de "rien" qui n'est pas à sa place, K'an se réinstalle en face de la petite peluche. Pourquoi tous les gamins de cette école sont adorables ? Nan, sérieusement, il a très rarement une telle concentration de "belles" personnes. C'était ça, le critère de sélection du directeur ? Qui sait. Il a déjà eu de la chance d'être embauché... Alors autant ne pas trop poser de questions.

    Revenant à ses pensées, le natif se frotte doucement la nuque. C'est qu'il pose des questions, le bébé chat, et avant qu'il puisse lui donner la variété de thé qu'il utilise et lui proposer une boîte, il se retrouve très... décontenancé.

« Moi ? Je suis arrivé en cours d'année. En... octobre, il me semble ? Quelque chose comme ça. Pendant l'automne, c'est sûr. »

    Très peu de personnes s'intéressent à leurs professeurs, surtout ceux qu'ils n'apprécient pas. Et K'an est de ceux qui ne sont pas populaires à cause de la matière enseignée. Alors, forcément, à part avec... Il compte intérieurement. Matthew ? Et voilà, il n'a pas vraiment de conversations hors de ses cours et hors de son domaine d'exercice. Avec un sourire troublé, il ajoute finalement :

« Je suis un jeune professeur. Ça fait quelques mois que j'enseigne, et on peut dire que... Je suis sûrement le plus jeune du corps enseignant, si je ne m'abuse. »

    Amusé par sa propre inexpérience, le devin regarde la surface de son thé se rider au rythme de ses expirations. Il est plutôt bien, ici. Ça change de "chez lui".

« Et toi ? Tu es arrivé en cours d'année. Comment ça se passe pour toi ? Pas de problème ? »

    Quelque chose (sûrement ce "truc" qui manque) lui dit qu'ils vont se voir souvent, et plus que dans le cadre purement scolaire de son rôle d'enseignant. Cela le pousse, en plus de sa curiosité, à poser des questions. Et puis c'est normal de s'inquiéter pour ses élèves, non ?

    Être le plus jeune ne l'avait jamais gêné dans sa vie. Après tout, il était plus jeune que son propre neveu. Dernier-né de sa famille, il avait eu tout le temps du monde pour perfectionner ses techniques, avait acquis une réputation plutôt solide au pays... Bref, rien de déplorable, sincèrement. La seule chose qu'il pourrait éventuellement regretter, mais qui n'a jamais été de son ressort, c'est bien sûr l'âge avancé de ses parents. Mais tout le monde doit mourir un jour.

    Les paroles du petit Poufsouffle le troublent plus qu'elles le devraient. C'est vrai qu'un tel choix d'école, en ces temps troublés, est quelque peu étonnant... Lui-même avait fait ce choix en connaissance de cause, mais sans réellement s'en préoccuper. Il croyait plus à de simples rumeurs sans réel fondement que... la réalité. Et si maintenant il était vraiment embarqué dedans, ça ne le dérangeait pas plus que ça, finalement. Il assumait ses choix.

« C'est compréhensible... Mais pourquoi ce choix, alors ? »

    C'est vrai qu'un fois cette incohérence relevée, il semblait difficile à K'an de tout bonnement l'ignorer. Autant poser la question, ça lui évitera beaucoup de soucis pour rien. Le natif maya accroche le regard du bébé chat et lui offre un sourire, pour toute consolation. Après tout, il ne peut pas faire grand chose de plus.

    Après, éventuellement, quand le chaton blond aura terminé son thé il jettera un oeil au fond de la tasse. Rien de sensationnel ne sera vu, c'est ce que le brun pense, mais il aurait toute la joie du monde de se tromper. Au moins, ça égayerait un peu sa vie monotone. Le "vieux continent", c'est bien, mais... Mais lui, il est un peu perdu. Alors il ne sort pas de l'enceinte de l'école, à part pour aller à Pré-au-Lard de temps en temps.

    Sans l'interrompre, il écoute tranquillement ce que le jeune homme a à dire. Et il se rend compte que.. c'est une réaction logique. Même si un tuteur aurait été envisageable, maintenir l'éducation d'un enfant à la maison, et sans adulte présent, c'est tout de même plutôt compliqué.

    Reportant son attention sur sa propre tasse, le brun en avale une autre gorgée. Ça commence à refroidir, mais l'avantage du thé de qualité c'est qu'il n'est jamais mauvais, même froid. Même s'il essaye de ne pas se sentir mal à l'aise, il finit par lâcher un regret.

« J'aurais préféré que ce que j'ai entendu de cette histoire s'arrête aux rumeurs. Quelque part, je me demande dans combien de temps ils vont devoir fermer l'école. C'est franchement regrettable. Renvoyer les marqués chez eux ne serait pas une solution. Ils blesseraient leurs proches. Il faudrait peut-être renvoyer les autres, mais ils ne pourraient pas étudier et- »

    Parler de ce genre de choses en présence d'un élève n'est sûrement pas conseillé, voire proscrit. Aussi, dès qu'il se rend compte de cette erreur, il se tait. Une remarque silencieuse et moqueuse sur sa propre personne plus tard, la "mauvaise" humeur de K'an est passée. Lui, il avait été prévenu et n'en avait rien cru. Pourtant, n'importe quelle personne sensée aurait fait l'effort de chercher. Il s'était juste trouvé devant le fait accompli sans réagir. Ça semblait tellement invraisemblable, après tout.

« Enfin. J'ai une impression persistante que tu n'es pas là que pour un petit tour de visite. Je me trompe ? »

    Essayant de ne pas rester enfermé dans ses pensées, K'an se remet à sourire. Pour la forme, au début, puis l'exercice devient sincère. Ça fonctionne toujours aussi bien.